Ton chant du monde

Le soleil s’étalait sur la terre et se mettait à y dormir en écrasant les ombres.
Mes pas glissaient sur un sol spongieux et froid. Les bruits de la nuit me saisissaient à la gorge, étrangement : j’entendais se crisper mes orteils dans mes souliers et les feuilles des arbres du verger chuchoter aux moineaux une berceuse vespérale.
La terre s’offrait généreusement au ciel étoilé, ce soir-là. Sous la lune rousse, le givre brillait déjà.

Ton antre que je découvrais maintenant était pareil à la case d’un marabout. Il y avait là réunie toute la magie singulière d’un monde empreint de sensualité. Mais où poser les yeux tant il y avait de créatures sculptées ou peintes … un large éclair voleta au-dessus de ma tête comme un oiseau. Où étais-je vraiment ? Je finis par poser le regard sur les murs tapissés de boucliers à la pointe élancée.

Étaient-ils les gardiens de ces arches de Noé reposant au sol ou sur des étagères faites de sable, de verre, de papier ? Où voguaient ces êtres curieux : canards, lapins tous momifiés ? Vers quel inconnu, quelle éternité ? Tu me soufflais à l’oreille : regarde, contemple, émerveille-toi. Qui étaient ces êtres à deux têtes au ventre éclaboussé reproduits sur les boucliers ou sur les peaux de chèvre ? Où nous conduisaient toutes ces chauves-souris velues, ces raies rieuses, ces serpents haletants et ces scorpions aux yeux fixes ?

Dehors, soudain les chouettes se mirent à chouler …
Mon dos frémit glacé par les cris, des cris qui redoublaient les battements de mon cœur.
Les notes se mêlaient maintenant à tes mots. Je les recueillais, étourdie par leur sonorité et leur sens tantôt violent, tantôt froid comme la terre froide, tantôt prophétique. Je marchais dans ce dédale de mots labyrinthiques, ces chrysalides et insectes squelettiques, ces têtes bicéphales et ces pirogues d’enfer.

C’était ça pour toi le chant du monde ou plutôt tel que je le comprenais, le chant de tes démons, ou … de mes démons intérieurs ? Ta poésie à toi. Les mots sifflaient fort ce soir-là comme des lanières de fouet à mes oreilles. Quelle était la clé de tes songes, de tes désirs enfouis ?
Aspirée par ce mystérieux royaume, j’allais sortir de ta caverne, ô singulier chamane quand, sans crier gare … deux gifles de vent me remirent d’aplomb.

Josette Preud’homme. 6 décembre 2019

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